L'amitié. Baiser d'ivrogne

T.IMPR. sonnet : 10 / L'AMITIÉ / Entre amis tout est commun . / MONTAIGNE. / Pourrait-on pratiquer l'amitié mieux que nous? / Nous sommes tous les deux faits à la même image, / Nous avons même bourse et nous sommes deux fous / Qui s'en vont en chantant qu'aimer et boire est sage. / Lorsque nous rencontrons une fille aux prix doux, / A l'oeil vif, qui n'a rien de faux dans le corsage, / Nous allons tour à tour nous mettre à ses genoux / Mais nous tirons au sort pour le premier jambage! / Et nous vivons ainsi, joyeux et sans regret, / On dit en nous voyant entrer au cabaret: / C'est Oreste et Pylade! - On nous donne un seul verre. / Donc, vieux lapins ayant toujours eu même trou, / Lorsque la mort viendra pour nous tordre le cou, / Qu'elle nous réunisse encore dans la terre!R.T.IMPR., sonnet : 9 / BAISER D'IVROGNE / A F. Greif. / Un blanc rayon de lune éclaire la mansarde: / Sur un lit misérable, une femme combat / Le sommeil qui l'assiège, et tristement regarde / Deux enfants endormis sur un autre grabat. / Elle attend son époux, homme à face blafarde, / Qui rentre toujours ivre et sans cesse la bat, / Et qui, s'il a gagné quarante sous, les garde / Pour mener une fille en quelque noir sabbat. / Mais il vient, l'oeil rougi, la marche titubante, / Et cherche de sa bouche avinée et puante / La bouche de sa femme : il bave et la salit. / Elle veut se soustraire à ce baiser de brute : / Il frappe!... Et, réveillés par cette ignoble lutte, / Leurs enfants tout craintifs sanglotent dans leur lit!...