Lettre de Juliette Drouet à Victor Hugo, 5 octobre samedi matin 8h 1850

Inscription manuscrite - 5 octobre, [ 1850], samedi matin 8h.Il vient de m’arriver toutes sortes d’accidents hideux. J’ai renversé mon petit godet à l’encre au milieu de la brochure et de mon papier. J’en suis toute couverte et [ je ] les doigts et les ongles teints comme ceux d’un grand artiste de ma connaissance. Tout cela ne m’émeut pas autrement, cependant et si ce n’était la perte de mon encre et les tâches à ma robe, cela me serait tout à fait égal. A propos, mon petit homme, on doit venir poser les tapis mercredi matin comment allons-nous faire pour concilier ton gribouillis avec mes bric-à-brac ? Je n’ai pas d’autre endroit que la salle à manger pour déposer tous les meubles et toutes les porcelaines. Il faudra même que je fasse le déménagement mardi soir. Il faudra que tu aies la complaisance de resserrer tous tes dessins, seulement pour ce moment-là. Je les surveillerai avec la plus grande sollicitude. Je peux bien me permettre de les molester devant vous, mais au fond je les respecte et je les admire comme d’admirables chefs-d’œuvres qu’ils sont. Aussi soyez tranquille il ne leur arrivera rien. Je vous attends ce matin, j’espère que ce ne sera pas une raison pour que vous ne veniez pas. Julie est partie ce matin à 7h. Elle avait passé la nuit sur la chaise longue. Nous sommes revenues avec le chevalier Lacombe à minuit après une soirée très laborieuse pour moi, du moins que le spectacle amusait peu. Mais plein de charme pour Julie qui voyait l’opéra pour la première fois. Décidément je n’ai pas la bosse de la musique. J’en ai peut-être d’autres y compris celle du crime. Défiez-vous en. Juliette