Le legs fondateur de la famille Dutuit vient offrir aux collections municipales un développement sans précédent. En juillet 1902, à la surprise générale, et à la grande déception de sa ville natale, Rouen, la Ville de Paris reçoit d’Auguste Dutuit le legs d’une collection de 20 000 œuvres d’art, dont 12 000 gravures, qu’il a rassemblée avec son frère, Eugène, ainsi qu’un important patrimoine immobilier et financier destiné à l’enrichissement et à l’entretien de cette collection. La Ville acquiert ainsi non seulement de remarquables fonds d’art ancien, de manuscrits et d’antiques qui manquaient à son musée des beaux-arts en gestation, mais également des revenus financiers qui feront les beaux jours de sa politique d’acquisition.
Eugène et Auguste Dutuit, ainsi que leur sœur Héloïse, dont le rôle éventuel dans la constitution de la collection reste cependant mal connu, sont les héritiers d’une grande fortune familiale issue de l’industrie du textile. Vivant de leurs rentes, grands amateurs d’art, ils voyagent beaucoup et deviennent progressivement des collectionneurs assidus. Eugène se passionne pour la gravure ancienne. Les frères Dutuit acquièrent également dès les années 1830-1840 leurs premières peintures flamandes et hollandaises du XVIIe siècle, jetant les bases de ce qui sera un des points forts de leur collection. Auguste, installé à Rome à partir de 1848, collectionne les antiques et les majoliques tout en s’adonnant avec talent à la peinture de genre. Se retrouvant à la tête d’une immense fortune à la mort de leur père en 1852, les Dutuit vont intensifier leurs achats, toujours marqués par une grande pertinence des choix.
À partir de 1886, Auguste Dutuit, resté seul propriétaire de la collection après les décès de sa sœur et de son frère, se préoccupe de son devenir. Il envisage tout d’abord de la léguer au futur musée des Arts décoratifs, mais se ravise à la création de celui-ci en 1898 dans le pavillon de Marsan du Louvre. Craignant sans doute une moindre visibilité dans un ensemble aussi vaste, il opte finalement pour un legs à la Ville de Paris.
Alors que le testament réclamait la construction d’un bâtiment spécifique, portant le nom des Dutuit, c’est finalement le Petit Palais, bel écrin un peu vide, qui est choisi pour accueillir la donation. Le musée est inauguré le 11 décembre 1902 sous le nom de « musée de la ville et de la collection Dutuit ». L’entrée y est libre pour respecter une autre clause importante du legs.
Implantée dans l’aile sud du palais, la collection des frères Dutuit fait en réalité le véritable attrait et le succès de ce musée naissant. Conçue dans un esprit relativement encyclopédique, elle est structurée autour de quelques grands axes qui constituent encore aujourd’hui les lignes de force des fonds anciens du musée : l’Antiquité classique, les objets d’art du Moyen-Âge et de la Renaissance, la peinture hollandaise du XVIIe siècle et les arts graphiques.
Les arrérages du legs Dutuit ont permis, jusqu’au début des années 2000, période où ils ont cessé d’être affectés au musée par la Ville de Paris, l’achat de la plupart des œuvres importantes des collections permanentes (Antiques, objets d’art, toiles de Greuze, Fragonard, David, Ingres, Géricault, Delacroix, Corot, etc.).
Les textes sont issus de Paris Musées, Histoire des musées de la ville de Paris, de Cécile Aufaure et Juliette Singer, Paris, 2017 ; de l'article de José de Los LLANOS, La collection Dutuit, deux frères, un musée In : Choisir Paris : les grandes donations aux musées de la Ville de Paris, Paris : Publications de l’Institut national d’histoire de l’art, 2015 ; ainsi que du Catalogue sommaire illustré des peintures, Musée du Petit Palais, Paris, 1981 de Juliette Laffon.
La collection de céramiques grecques et de bronzes antiques brille par de nombreuses pièces exceptionnelles. Le vase athénien représentant Hermès et sa mère Maïa est attribué au grand peintre Psiax, un des derniers grands maîtres de la figure noire, initiateur de la technique à figure rouge à partir de 530 avant notre ère. Le rhyton (vase à boire) du peintre de Sotadès daté de 470 avant notre ère, sur lequel figure un Éthiopien attaqué par un crocodile, ou l’œnochoé à figure rouge, issue des fouilles de l’antique Capoue, sont aussi des pièces majeures. L’éphèbe en pied daté vers 30 avant notre ère, ainsi que les portraits du IIe siècle de l’empereur Antonin le Pieux et de deux magistrats, découverts en 1867 aux Fins d’Annecy, sont de remarquables témoignages de la sculpture monumentale antique en bronze, parvenue en très petit nombre jusqu’à nous. Le musée conserve également, grâce aux Dutuit, l’une des quatre plaques en verre-camée antique – technique rare réservée à une élite, née au Ier siècle avant notre ère – connues au monde ; elle représente un satyre tendant une grappe de raisin à Bacchus enfant.
La collection de céramiques grecques et de bronzes antiques
Les céramiques grecques

























Hydrie à fond blanc à décor d'applique (CVA 310)























Amphore de type B (CVA 311)

















Rhyton en forme de crocodile attaquant un Ethiopien (CVA 349)







Rhyton attique en forme de tête de bélier (CVA 373)



















Rhyton attique en forme de tête de bélier (CVA 352)











Œnochoé à embouchure trilobée (CVA 315)





















Lécythe à fond bistre (CVA 335)

















Coupe (kylix) (CVA 325)
Les bronzes antiques





Ephèbe des Fins d'Annecy (bronze romain d'après Polyclète)









Antonin le Pieux













Magistrat













Magistrat









Bacchus de la via del Babuino







Jupiter tenant le foudre
Verres antiques





Verre camée : Satyre tendant une grappe de raisins à Bacchus enfant





Fond de coupe : deux époux













Gobelet en forme de tête de nègre souriant
La collection de peintures hollandaises du XVIIe siècle, d’une très grande qualité, compte parmi les ensembles les plus significatifs des musées français dans ce domaine. Eugène Dutuit en fut d’ailleurs un spécialiste reconnu : il publia entre 1883 et 1885 le catalogue raisonné de l’œuvre gravé de Rembrandt en trois volumes. L’Autoportrait au chien de Rembrandt en costume oriental, daté vers 1631-1633, pièce phare de la collection, a été acquis dès 1840, lors d’une vente publique à Gand à laquelle Auguste Dutuit s’était rendu pour y enchérir précisément sur cette œuvre. Ce tableau s’inscrit dans la prolifique et célèbre série des autoportraits du maître qui ne cessa d’interroger sa physionomie, de sa jeunesse à ses dernières années. Plusieurs paysages rappellent la place occupée dans les écoles du Nord par ce qui devient alors un genre à part entière. Les principaux maîtres sont présents : Jan Van Goyen, Jacob Van Ruisdael et son élève, Meindert Hobbema, dont Le Moulin à eau est un des chefs-d’œuvre. La scène de genre, très prisée de la clientèle bourgeoise hollandaise, est également bien représentée par des œuvres de David Teniers, Gabriel Metsu, Adriaen Van Ostade ou Jan Steen, où l’on retrouve le souci du détail et la science de la composition qui font toute la saveur de ces scènes à connotation moralisatrice.
La collection de peintures hollandaises du XVIIe siècle
Peintures hollandaises































Portrait de l'artiste en costume oriental



Mercure, Argus et Io





Le chant interrompu : portrait de l'artiste et sa femme



L'Auberge au bord de la rivière









Paysage à la cascade



Les Moulins



















Le petit quêteur
Grands amateurs d’estampes et de dessins dès leur jeunesse, les frères Dutuit ont réuni un ensemble considérable dans ce domaine qui comprend les plus grands noms, de l’école hollandaise, si chère à leur cœur (Rembrandt, Van de Velde, Mieris…), mais aussi de la peinture française du XVIIIe siècle (Watteau, Fragonard, Hubert Robert) ou d’artistes majeurs de leur temps (Ingres, Delacroix).
La collection des dessins et estampes
Les œuvres de Rembrandt



Rembrandt aux yeux hagards (Bartsch 320)



Adam et Eve (Bartsch 28)



Les Trois Croix (Bartsch 78)



La Mise au tombeau (Bartsch 86)



Clément de Jonghe (Bartsch 272)



La Pièce aux cent florins (Bartsch 74)
Les œuvres de l'école hollandaise



Le Pont de bois (Dutuit 4)



Moulin à eau, avec un homme assis à droite (Lugt 42)



Vache broutant et deux brebis (Lugt 80)



Chasseur près d'un étang, dans une clairière (Lugt 79)
Les œuvres de l'école française



L'allée ombreuse





Le temple de la Sibylle tiburtine : Souvenir du temple de la Sibylle à Tivoli



Feuille d'étude de neuf têtes
Si les frères Dutuit ont nourri une passion pour la peinture hollandaise, ils se sont aussi intéressés aux productions de certains artistes français du XIXème (Roqueplan, Boissieu). La collection montre l'intérêt que portent les deux frères à l'antiquité classique et aux représentations des ruines si caractéristiques de la période romantique (Hubert Robert, Claude Gellée ..). Les études peintes de Joseph-Marie Vien (L'aîné), L'ambassadeur du Mogol et La Sultane noire, ont été réalisées à l'occasion de la Mascarade organisée par les pensionnaires de l'Académie de France à Rome, dont le thème était "Caravane du grand seigneur à la Mecque", lors du carnaval de 1748. Les frères Dutuit, originaires de Rouen, vont également acquérir des toiles d'artistes locaux à l'instar du Mariage du roi Léopold I avec la princesse d'Orléans de Joseph-Désiré Court.
La peinture française du XVIIIe siècle
Les peintures françaises collectionnées par les frères Dutuit



Ruines romaines, le Forum avec le Colisée et l'Obélisque



Le Temple antique



Paysage avec le port de Santa Marinella



Ambassadeur du Mogol



Sultane noire



Van Dyck à Londres



La Danse des enfants



Le mariage du roi Léopold I avec la princesse d'Orléans
Les achats d’œuvres majeures grâce au legs Dutuit
Par le testament rédigé en 1888, Auguste Dutuit lègue à la ville de Paris une collection prestigieuse et éclectique. Mais la générosité des frères Dutuit ne s'est pas arrêtée là. En effet, ce don d'une rare ampleur était assorti du legs de la fortune Dutuit (patrimoine immobilier, actions) dont le placement et les revenus financiers feront les beaux jours de la politique d’acquisition du musée. Grâce à ces placements, des achats d’œuvres majeures pourront être réalisés tout au long de la vie du musée. Ainsi, dès 1913 est acquise La Mort de Sénèque de David, puis La Marietta de Corot en 1934 ; l'exceptionnelle Vierge de l'Annonciation attribuée à Di Turino est achetée en 1958, suivi, 10 ans plus tard, par l'achat du tableau d'Ingres Henri IV jouant avec ses enfants et plus récemment en 2010, l'entrée dans les collections du pendentif Anémone des bois réalisé par René Lalique.







François Ier reçoit les derniers soupirs de Léonard de Vinci









Henri IV jouant avec ses enfants au moment où l'ambassadeur d'Espagne est admis en sa présence



Le pélerin de Saint-Jacques































Vierge de l'Annonciation



Sculpteur travaillant à la statue d'un saint à Saint-Pierre de Rome





La Mort de Sénèque









Le Combat du Giaour et du Pacha
















Pendentif Anémone des bois
Du collectionneur à l'artiste, les œuvres d'Auguste Dutuit
Grâce à leur renommée et leur mécénat, les frères Dutuit occupent une place importante dans la vie artistique rouennaise. Dans les années 1840, Auguste se rend régulièrement en Italie et à Rome où il croise les élèves de la Villa Médicis. Il s'y installera définitivement après 1848. Continuant lui-même de peindre en amateur – il peindra toute sa vie, mais sans chercher réellement à faire carrière –, il se plaît à fréquenter le milieu des peintres de toutes nationalités qui constituent alors une communauté nombreuse et bigarrée, installée surtout autour de la place d’Espagne. Les œuvres d'Auguste Dutuit sont directement inspirées de cet environnement : des scènes de rues observées à Rome ou dans le Latium, des cérémonies religieuses etc.







Buste d'Auguste Dutuit



Porte du palais Farnèse à Rome



La leçon de chant des enfants de choeur, dans une sacristie à Rome



Marchands ambulants à Tivoli



Cardinaux sortant du Vatican par la porte des Suisses, après une audience du Saint-Père



Continuation
- Paris Musées2017
Musées d’art et d’histoire, musées de charme, maisons d’artistes et d’écrivains, les quatorze musées de la Ville de Paris réunissent des collections exceptionnelles par leur diversité et leur qualité, les premières de France après celles de l’État.
- Actes du colloque "Choisir Paris"2015
Le colloque "Choisir Paris : les grandes donations aux musées de la Ville de Paris", organisé les 11 et 12 octobre 2013 par Paris Musées et l’Institut national d’histoire de l’art (INHA), fut l’occasion de rendre hommage aux frères Dutuit.
- Catalogue sommaire illustré des peintures.1982
Catalogue sommaire illustré des peintures. [3]. 1, A-H [Texte imprimé] / Palais des beaux-arts de la Ville de Paris (Musée du Petit Palais) ; [rédigé] par Juliette Laffon